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Chambre #117 – Aliénor

Grincements de portes et couinements de parquets sont la contrepartie des vieilles maisons. Mais les vieilles maisons ont tellement d’avantages que ces bruits ne leur retirent aucun charme. Ici, au Domaine de Beaupré, on m’a confié la chambre n°117 dite « Aliénor ». Quelques éléments….

Grincements de portes et couinements de parquets sont la contrepartie des vieilles maisons. Mais les vieilles maisons ont tellement d’avantages que ces bruits ne leur retirent aucun charme. Ici, au Domaine de Beaupré, on m’a confié la chambre n°117 dite « Aliénor ». Quelques éléments de la biographie d’Aliénor d’Aquitaine affichés sur les murs confirment que cette chambre a été baptisée en son honneur. Elle a régné sur les 2 puissances dominantes du monde médiéval occidental au XII° siècle en devenant d’abord reine de France puis reine d’Angleterre. Parmi ses 10 enfants 3 sont devenus rois dont le fameux Richard-Cœur-de-Lion.

Aénor de Châtellerault épousa vers 1120 Guillaume X duc d’Aquitaine et comte de Poitiers. Leur fille ainée, Aliénor, « l’autre Aénor » en langue d’oc, pointe le bout de son né vers 1122 ou 1124 à Bordeaux ou Belin (en Gironde également selon le découpage actuel). On parle d’il y a près de 900 ans et les lieux et dates sont incertains. Parfois retranscrite en Eléanore, Elianor, Elleonor selon les calligraphes en charge des registres, Aliénor reçoit l’éducation qui convient à une femme qui, par sa naissance, fréquentera la très raffinée cour d’Aquitaine du XII° siècle. Les ducs d’Aquitaine ont plusieurs résidences où ils font cour : Poitiers, Bordeaux, Belin mais également ils ont table ouverte dans plusieurs monastères sous leur protection. Aliénor doit apprendre le latin, la musique, la littérature, l’équitation et la chasse.

Bien entendu, rien ne s’est passé comme prévu. Aliénor l’ainée de la fratrie, était destinée à un mariage organisé en vue de contenir un vassal un peu remuant voire à renforcer l’alliance avec un suzerain. C’est son frère cadet Guillaume Aigret qui devait hériter du duché. Malheureusement celui-ci décède en 1130. Dès 1136 les seigneurs d’Aquitaine lui jurent fidélité et font d’Aliénor l’héritière du duché d’Aquitaine. L’année suivante son père meurt le vendredi Saint, exactement le 1er avril, lors d’un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. La voilà donc Duchesse d’Aquitaine à 15-17 ans. Louis VI le Gros règne sur la France d’alors et lorgne du côté de cette duchesse orpheline. « Si je marie mon fils ainé avec Aliénor d’Aquitaine, leur premier fils sera roi de France et d’Aquitaine. Avec les ports de l’Ouest, c’est bon pour le business » furent les pensées qui le menèrent à organiser le mariage qui aura lieu le 25 juillet 1137. Pour cela il fera jouer la tutelle féodale du suzerain sur son vassal. A l’époque il fallait être au moins roi pour organiser un mariage à 600 Km de distance avec déplacement de la cour à Bordeaux en moins de 4 mois. Un e-mail Paris Bordeaux par porteur spécial de l’époque devait prendre une bonne huitaine de jour pour atteindre son destinataire ce qui fait 2 bonnes semaines pour recevoir une réponse.

Rarement dans l’histoire les choses ne seront allées aussi vite. Après les noces les 2 époux devaient aller faire couronner le nouveau Duc d’Aquitaine à Poitiers. Pendant leur voyage ils apprennent la mort de Louis VI le Gros. Elle n’a pas 18 ans et elle est couronnée reine des Francs le jour de Noël 1137 en tant qu’épouse de Louis VII le Jeune. Au cours d’une des vicissitudes du royaume des Francs un certain Thibaut IV de Blois incendie une église en 1143, dans la charmante bourgade de Vitry-en-Perthois non sans avoir rassemblé les habitants à l’intérieur au préalable. Le pape Eugène III l’apprend en 1145, s’énerve et jette « l’interdit » (peine expiatoire et médicinale juste en dessous de l’excommunication – à l’époque c’était la honte) sur le royaume. Le Jeune prend peur et annonce son départ pour la deuxième Croisade le 25 décembre 1145 à titre de repentance. Aliénor qui vient de donner une fille, Marie de France, au Royaume a la bougeotte et veut être de la partie. Autant le Jeune qu’on appelle désormais le Pieux déteste l’orient et se réfugie dans la prière autant Aliénor se laisse envouter par les charmes du Levant. On lui prête une aventure extra conjugale à Antioche. Le couple royal fera bateau à part pour le voyage retour, ce qui peut signifier que le roi était « un peu » fâché.

Louis VII le Jeune

Ils se réconcilieront durant la partie terrestre du voyage retour vers Paris. Un an plus tard naitra Alix de France leur deuxième fille. Mais le cœur n’y est plus. Les époux trouvent un terrain d’entente et se partagent les meubles, contés, duchés et la vaisselle. Le mariage est annulé le 21 mars 1152 pour consanguinité au 4ème et 5ème rang. Le divorce est compliqué au moyen-âge mais les rois ont le pouvoir d’être généreux avec l’église lorsqu’elle sait se montrer compréhensive. Notre belle Aliénor n’a que 28-30 ans lorsqu’elle coche le projet « Reine de France » comme terminé sur sa To-Do-List. Elle devient le plus beau parti d’Europe avec son duché d’Aquitaine, mais repousse toutes les propositions en n’écoutant que son cœur. Depuis leur rencontre à la cour en 1151, Aliénor et Henri Plantagenet s’envoient des SMS à base de servante complice qui connait un valet qui contre quelques pièces transmettra le message. Huit semaines après l’annulation de son mariage avec le Roi de France elle épouse Henri Plantagenet le 18 mai 1152.

Henri II Plantagenet

En ces temps lointains, les hasards des successions, filiations font que le trône d’Angleterre s’offre à Henri Plantagenet. Son grand père était Henri I d’Angleterre, ça aide dans ces circonstances. Le 19 décembre 1154 Aliénor d’Aquitaine à la sortie de la cérémonie durant laquelle elle sera couronnée Reine d’Angleterre sort sa To-Do-List et coche la tâche « Reine d’Angleterre » comme terminée. Henri II Plantagenet apportait à l’Angleterre un accroissement considérable de ses terres continentales ce qui ne manque pas d’irriter Louis VII le Pieux. C’est la guerre froide entre la France et l’Angleterre. Pendant près de 20 ans ça se teste, s’observe, se titille mais c’est le « si vis pacem, para bellum » qui s’impose. De ces années il est resté en France une certaine haine de la perfide Albion qui n’a fait qu’empirer ensuite et qui perdure au XXI° siècle.

Le mariage avec Henri II fonctionne à merveille. En 13 ans Aliénor a donné 5 fils et 3 filles au royaume. 3 de ses fils ont été roi d’Angleterre. Henri le Jeune a régné avec son père mais est mort très précocement. Richard sous son nom de scène Richard-Cœur-de-Lion et enfin Jean dit Jean-Sans-Terre au décès de Richard. Les autres enfants ont été mariés aux plus belles cours d’Europe. Ces unions ont fait qu’Aliénor ajoute à son palmarès d’être la grand-mère de Blanche de Castille. Elle est reconnue comme mécène et elle finance des troupes de troubadours. Elle intervient également dans les affaires du royaume et veille aux intérêts de la partie Plantagenet. Elle est à l’origine du droit maritime mondial et son nom est mentionné comme référence de droit maritime anglais.

Richard-Coeur-de-Lion

Est-ce qu’elle va en rester là ? Bien sûr que non. En 1173 elle entraîne 3 de ses fils dont Richard son préféré dans un complot visant à prendre le pouvoir à leur père Henri II. Ce dernier réussit tant bien que mal à ramener l’ordre et montrer qu’il était le patron. En revanche il garde Aliénor cloitrée dans divers châteaux et monastères pendant 15 ans jusqu’à sa mort. En 1189 Richard qui est le nouveau roi la fait libérer. Ils se partagent les tâches, son rôle est de faire le tour des popotes de chaque comte, duc pour leur faire prêter serment à Richard-Cœur-de-Lion. Alors que Richard s’apprête à partir pour la 3ème croisade elle lui trouve une épouse Bérangère de Navarre, elle organise le mariage et sitôt la cérémonie terminée elle retourne en Angleterre tirer les oreilles à ce sacripant de Jean-sans-Terre qui a pris langue avec Louis VII son ex-mari. Elle assiège avec toutes ses armées anglo-normandes son propre fils cadet jusqu’à ce qu’il revienne à la raison, ce qu’il fit assez vite. Pendant ce temps de benêt de Richard se fait capturer en Autriche sur le chemin de retour de la 3ème croisade. Aliénor organise la collecte de la rançon (énorme : 2 ans du budget de l’Angleterre d’alors) et va en personne la porter à Mayence au fils de Barberousse le 13 janvier 1193. Aliénor ramène son marmot à la maison. A la mort de Richard en 1199 elle prend le parti de Jean. Elle reprend son bâton de pèlerin et fait du porte-à-porte dans tous les comtés de l’ouest de la France pour que les comtes se rallient à Jean et non à la Bretagne. Encore une fois mission accomplie. Elle s’éteint le 31 mars ou 1er avril 1204. On peut voir son tombeau à l’Abbaye de Frontevaux. Sacré personnage non ?

Par baichette

Passionné de voyages, photos avec un téléphone et de vente.

2 réponses sur « Chambre #117 – Aliénor »

Où est la très savante Héloïse
Pour qui fut émasculé puis se fit moine
Pierre Abélard à Saint-Denis ?
C’est pour son amour eut cette essoyne.
De même, où est la reine
Qui ordonna que Buridan
Fût enfermé dans un sac et jeté à la Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

La reine blanche comme un lys
Qui chantait comme une sirène,
Berthe au Grand Pied, Béatrice, Alix,
Erembourg qui gouverna le Maine,
Et Jeanne, la bonne lorraine
Que les Anglais brûlèrent à Rouen,
Où sont-elles, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

François Villon

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