Nous sommes en 1946, Enrico se désespère. Le groupe familial créé en 1882 est pratiquement en faillite. Son grand-père a débuté l’aventure dans la construction navale. Dès 1889 le rachat audacieux d’un atelier permet une première diversification dans le domaine ferroviaire. Le développement se poursuit dans l’aménagement intérieur des cabines de bateaux et de trains. La réputation des Italiens dans les aménagements intérieurs de cabines devient rapidement mondiale. Les commandes et l’argent coulent à flot.
Rinaldo (le père d’Enrico) prend les rênes du groupe au quelques temps après le déclanchement de la première guerre mondiale en 1915. L’aviation commence et Rinaldo, visionnaire comme son père entre dans ce domaine en achetant l’usine aéronautique Francesco Oneto. Au début il produisait des avions sous licence Dornier. Mais rapidement Rinaldo créé ses propres appareils. Cette division du groupe existe toujours et présente la particularité d’être la seule dans ce domaine à produire à la fois des avions, des moteurs d’avions et des éléments de structures.
En 1938 Rinaldo décède et c’est au tour d’Enrico de prendre la direction du groupe. A cette époque on produit des bateaux, des avions, des trains, des téléphériques, des tramways, des trolleybus et pense à se lancer dans la production d’hélicoptères. Il faut dire que l’arrivée de l’ingénieur Corradino d’Ascanio à la tête du développement des produits a apporté un foisonnement d’innovations qui ont encore renforcé la réputation du groupe et de l’ensemble de ses productions.
Pendant la 2ème guerre mondiale l’entreprise se consacre uniquement à la production d’avions de combat. A la fin de la guerre, le Me-163 Komet, le premier avion à réaction apparait chez Messerschmitt. Les avions de Corra, comme tout le monde appelle « l’ingniore principale d’Ascanio », sont à hélices. Cependant ils sont plus rapides que les Me-163… A la fin de la guerre les usines du groupe sont bombardées par les alliés pour neutraliser la capacité de production italienne. A l’Armistice, l’Italie est punie de sa conduite durant la période Mussolini. Il lui est désormais interdit de produire des avions.
Enrico doit bien constater que sa situation n’est pas brillante. Il lui reste une usine dans laquelle étaient stockées des tôles d’acier, des roues d’avion, des trains d’atterrissage et diverses pièces de moteur et c’est tout. L’ingénieur Corra qui a déjà tant apporté au groupe aborde le problème de manière pragmatique. Il se lance tout d’abord dans un inventaire détaillé de ce dont il dispose : 3000 roues, 2000 trains d’atterrissage, des milliers de pièces de moteur et plusieurs centaines de mètres carrés de tôles. Il s’enferme seul dans son bureau d’études et travaille sans arrêt pendant une dizaine de jours. Lorsqu’il a terminé, il annonce à Enrico : « Nous avons ici de quoi produire 2000 motocyclettes un peu particulières. »
En effet la motocyclette est particulière : la fourche est un train d’atterrissage, les roues sont celle d’un avion. La structure est en tôle. Le moteur est issu des 12 ou 16 cylindres nécessaires à un moteur d’avion. Un seul cylindre est utilisé. Pour compenser le manque de pièces, le moteur sera fixé à proximité de la roue arrière. Corra qui normalement n’aime pas les motos, il les trouve peu fiables et difficiles à réparer, poursuit un objectif de simplicité et fiabilité. La motocyclette est munie d’une roue de secours. La production et l’approvisionnement des pièces manquantes est très limitée
En mars 1946 Enrico dépose le brevet de la Vespa. La vente commence exactement le 23 avril 1946. Le nom de Vespa (la guêpe) a été donné au deux-roues en raison du bruit de son moteur. Les 2000 premiers, en dépit de la pauvreté d’après-guerre se sont vendus en quelques mois. Piaggio était sauvé. Les ventes s’accélèrent encore grâce au film « La Dolce Vita » qui transforme avec Marcello Mastroianni la motocyclette Vespa en art de vivre.
A ce jour Piaggio a vendu plus de 17 millions de ses Vespa et détient plus de 45% de ce marché mondial. Sur le segment des triporteurs et tuk-tuk qui sont produits et majoritairement utilisés en Asie, la domination de Piaggio est supérieure à 50% de ces marchés. Piaggio produit toujours des avions et possède de très nombreuses marques de deux-roues : Aprilia, Moto Guzzi, Laverda, Gilera, Puch, Derbi. Le groupe Piaggio c’est aujourd’hui un CA de 2.09 milliards d’Euro, 5800 employés. Dans le groupe il y a 8 usines de production et 7 centres de recherche. Ces derniers ont développé des scooters électriques ou hybrides qui semblent assurer un futur radieux à la marque.