Grave moment de discussion chez les Stevens, il faut décider si la famille va déménager dans les Midland où Charles, le père de famille a trouvé un emploi de contremaître d’une fabrique textile. Mary, la mère est plutôt pour, elle préfère élever leur premier bébé Harry à la campagne qu’à Londres. Il faut dire qu’elle est inquiète, le petit est né le 14 juin et depuis ses 4 mois il tousse. Ainsi la famille part s’installer à Derby dans les Midland au 21 Russel Street. Nous sommes en 1855.
Au grand air le petit Harry ne souffre plus de bronchite. Il grandit comme un petit campagnard des Midland. Ses parents les 2 très occupés le font participer à l’entretien de la maison. Il doit aider, la famille qui compte désormais 7 enfants et à 12 ans il doit participer. L’épicier de Derby cherche un commis. Ce sera Harry, il range, il organise, il améliore. Toujours curieux, il se lie d’amitié avec les chauffeurs livreurs qui approvisionnent l’épicerie. Un jour il peut partir en tournée avec l’un d’eux. Un autre garçon se serait intéressé aux chevaux, à la route, aux villages traversés. Non ce n’était pas pour lui. A l’entrepôt principal, il avait trouvé sa vocation professionnelle.
Bien entendu, dans la situation de pauvreté familiale il n’est pas question d’étudier et Harry le sait bien. Il est curieux et intéressé, il apprend sur le tas, il regarde, il questionne, il veut tout comprendre. Et tout le monde lui répond. En échange de son aide il collecte les informations. Fatalement il est remarqué par le directeur d’un dépôt. Ce dernier vient de remporter la concession de l’approvisionnement en nourriture sur les hippodromes autour de Londres. Harry se passionne pour cette activité. Il a 21 ans quand il devient le N°2 de son entreprise et seul en charge des concessions sportives.
Rapidement, il comprend qu’il faut qu’il devienne son propre patron pour aller plus haut. L’Angleterre est trop petite et se faire une place ne serait pas une mince affaire. Sa décision est prise, il émigre en Amérique en 1884. Débarqué à New-York il se retrouve sur les champs de courses. Il fait tous les métiers : groom, sellier, serveur, vendeur de saucisses. Les spectateurs, les cavaliers, les parieurs du New-York Polo Ground étaient friands de saucisses de Frankfurt qui étaient servies dans un papier enduit. Lors d’une pénurie de ce papier Harry M. Stevens décide de les servir dans un pain au lait français. Fruit de l’union entre une Allemande et un Français, le hot-dog est né, nous sommes en 1887.
Il part s’installer à Niles dans l’Ohio. A cette époque c’est un centre sidérurgique et minier. Comme dans toutes les villes industrielles, il y a beaucoup d’ouvriers, beaucoup de parieurs et donc beaucoup de stades. Harry est devenu concessionnaire pour la vente de cacahuètes pendant toutes les manifestations sportives d’une bonne moitié de l’Etat. Les affaires de la Harry M. Stevens Inc. sont prospères conformes à ses plans. En revanche il n’avait pas prévu de se passionner pour le base-ball de telle manière. Il suit tous les matches de tous les championnats locaux. Compulsivement, il note, compile, enregistre tous les résultats pour devenir un expert en base-ball.
En 1901 ses affaires progressent régulièrement. Ses entreprises emploient plus de 300 personnes et les perspectives de développement sont positives. Cependant une question le taraude « Il y a des gens qui ne mangent pas de cacahuètes, parce qu’ils préfèrent une glace ou un sandwich. Comment les inciter à manger des cacahuètes? ». Précurseur de la publicité et passionné de base-ball Harry développe la « score card » pour le suivi du match et le comptage des points. Sur cette « score card » il rajouta bien entendu sa marque. La progression de ses ventes ne se fit pas attendre : il doubla quasiment instantanément son chiffre d’affaires sur tous les terrains de base-ball. Il est à noter que plus de 120 ans après la « score card » selon le modèle de Harry M. Stevens est toujours utilisée.
Le personnage en lui-même était, d’après sa famille et ses proches, très simple et modeste. Il avait toujours un intérêt à rencontrer de nouvelles personnes et les écouter. Chez les uns et les autres il était toujours attiré par l’intelligence et la vivacité d’esprit de ses interlocuteurs. Il avait su s’entourer de collaborateurs dévoués et partageant son sens des affaires. Ses employés restaient longtemps chez lui car il payait bien et faisait profiter chacun des bénéfices de son groupe. Harry M. Stevens est décédé en 1934. Son entreprise a été rachetée en 1984 mais les nouveaux propriétaires se sont gardés de changer le nom qui existe toujours.
En public ou en privé, Harry M. Stevens aimait à expliquer que ce qui a fait son succès était lié à ses recrutements de personnes intelligentes. En avance sur son temps, il voulait des employés qui étaient capable de prendre des initiatives et de lui dire quoi faire. Il ne voulait pas de personnel soumis en attente d’instructions avant de se mettre au travail. A ce propos, sa phrase favorite était « If you pay peanuts, you get monkeys » (Si vous payez des cacahuètes, vous aurez des singes). Tellement vrai et tellement de fois (hélas) vérifié.