A l’arrêt sur une autoroute allemande au milieu de villes dont je découvrais les noms quand le trafic était encore fluide, je laissais vagabonder mes idées sur le business dans un premier temps. « Qu’est ce qui a fait que les gens visités se sont montrés aussi reconnaissants à l’issue de notre rencontre de 2 heures 30 ? »,
« Cette visite technique (avec des visées commerciales aidées par la compétence dans un domaine spécial – On est vendeur ou on ne l’est pas !) s’est-elle bien passée ? Pourquoi ? », « Qu’aurais-je dû ou pu faire différemment ? ». Et bien sur bien d’autres relatives à la performance globale de son organisation, la qualité des produits, etc. auxquelles on doit apporter des réponses les plus objectives. L’auto-évaluation est l’arme absolue des bons vendeurs. Un vendeur qui est capable de s’auto-évaluer « fact based (*)», comme disent les anglo-saxons, a toutes les chances de devenir meilleur visite après visite. Toutes les techniques de vente, de la « classique », à la « numérisée » en passant par le « hard selling » (on dirait des noms de pizza !) et j’en oublie des dizaines, ne peuvent porter le moindre fruit si elles ne sont pas auto-évaluées sans complaisance dès leur mise en pratique.
Passées les affaires, une expérience intéressante m’est revenue en mémoire. Sur un salon, j’ai rencontré un Tunisien un peu perdu qui avait une société de distribution de roulements et qui voulait diversifier ses activités dans une gamme qui correspondait à la mienne. Nous convenons d’une visite en Tunisie pour mettre en place cette activité. Donc vendre un stock et faire une formation des gens en contact avec les clients, mais surtout vendre le plus gros stock possible. Une fois le dit-stock payé, les tunisiens sont suffisamment malins pour le vendre vite d’eux-mêmes. Donc dès mon arrivée en Tunisie, j’ai été pris en charge personnellement par mon contact du salon et conduit dans une voiture de moins de 3 ans vers « l’Hôtel de France » dans Tunis centre choisi pas ses bons soins par cette même personne. Ensuite direction l’entreprise potentiellement cliente, pour une discussion agrémentée de pâtisseries tunisiennes devant lesquelles on ne peut que craquer : sucre, miel et friture (« pour que ça soye bon faut qu’ça soye gras ! » comme on dit chez moi). L’après-midi fila vite et un accord intéressant se profilait. Une fois tout entendu, mon contact m’informe que tout est clair et que « pour lui » c’est comme ceci qu’il faut faire. Comme mon vol décolle en début d’après-midi, j’aurai le temps de rencontrer son frère ainé avant de partir le lendemain et que pour la soirée, il m’invite. J’ai passé une soirée très relaxante et rencontré des gens particulièrement agréables et cultivés.
Le lendemain, à l’heure dite, je faisais connaissance avec le frère ainé et son cadet s’éclipsait aussitôt. « Votre frère vous a très certainement dit où nous en sommes, quelles sont chose que je dois détailler ? » (pas forcément la meilleure question du monde dans ces circonstances mais la première qui m’est venue). « Tout ! Il ne m’a rien dit, je sais seulement qu’il vous a rencontré à Paris ». Retour à la case départ et la contrainte horaire de mon vol retour impossible à tenir. Ce détail décalé de 24 heures par téléphone (c’était avant l’arrivée d’Internet en Tunisie), je recommence du début mon one man show pour un seul spectateur. Pour m’aider le thé sucré et les pâtisseries sont arrivés bien vite. Un rapide déjeuner à base de pizzas tunisiennes (une tuerie – la proximité géographique avec l’Italie est évidente). L’après-midi fila vite et un accord intéressant se profilait. Quitte à rester un jour de plus « Avec votre frère, j’ai parlé de X pour la valeur du stock, mais la réflexion après une nuit de sommeil, me fait penser que Y=X+25% serait nettement plus approprié ». Et le frère aîné me laisse entendre que « pour lui » c’est comme ceci qu’il faut faire. Comme mon vol décolle en début d’après-midi, j’aurai le temps de rencontrer son père le lendemain matin et que pour la soirée il m’invite. Une deuxième soirée réjouissante accompagnée de poissons délicieux. Comme avec son cadet, on se tutoie dorénavant.
Le jour suivant, même motif même punition, avec le père. Tout à refaire, mais au bout un stock qui passe à Z=Y+25% en raison d’une nouvelle nuit de réflexion. Encore une soirée parfaite. Enfin le 4ème jour on signe tout et le paiement de l’ensemble à Z-1,4%. Mon premier contact me conduit à l’aéroport non sans m’avoir auparavant gavé de pâtisseries tunisiennes. Dans la voiture, je commence :
- « Quand même vous allez fort sur les pâtisseries. J’ai l’impression d’avoir pris un kilo par jour avec vous tous !
- Et alors, c’est bien non ? tu ne voudrais pas qu’on te reçoive et que tu aies faim en partant de chez nous ? »
Silence gêné, je n’avais pas vu les choses ainsi. Mais je me lance pour essayer de me rattraper.
- « Tu sais en Europe on aurait fait ça le premier jour. Vous il vous en faut du temps pour décider, 3 jours de plus qu’en Europe, tu te rends compte ?
- Et après, tu en aurais fait quoi de tout ce temps ? » me rétorque-t-il non sans avoir pris le temps de s’arrêter pour pouvoir me le demander les yeux dans les yeux.
Nouveau silence gêné, décidément je suis bien maladroit. Et au bout de quelques minutes je reprends :
- « Je ne sais pas ce que j’en aurais fait de ce temps gagné c’est certain, mais toi, puis ton frère puis ensuite votre père… C’est long tout de même ».
- Nouvel arrêt et toujours droit dans les yeux « Oui mais maintenant on sait qui tu es, on a un ami. Tu ne trouves pas ça important ? »
Belle leçon non ? Voici à quoi j’ai occupé mon temps contraint dans un embouteillage sur une autoroute allemande. Hélicoptère et ambulances….
A bientôt.
(*) Fact based : basé sur des faits avérés. Il est étonnant qu’en 2 mots on puisse exprimer plus précisément en anglais ce qui se détaille en 5 mots en français.
PS: Merci à Mohamed et sa famille pour les 2 photos de portes.